Billets qui ont 'Vraies Femmes (Les)' comme oeuvre.

Journée (des droits) des femmes

Jamais autant que cette année je n'aurai entendu la précision "des droits" des femmes.

Au petit déjeuner, France Inter me décrit les nouvelles poupées "gonflables" (non gonflables, mais c'est pour faire comprendre de quoi il s'agit) au toucher doux, dont on peut choisir le caractère grâce à l'intelligence artificielle (soumise, insolente, etc) et dont on peut changer la tête quand on est lassé (dix-huit visages possibles).
Je devrais sans doute être choquée mais devant le titre de la chronique «Et si on se passait des femmes?», je remarque surtout que ce à quoi "servent" les femmes est crûment explicite (sachant que le chroniqueur est une chroniqueuse, a-t-elle simplement voulu être provocatrice, ou avait-elle une visée accusatrice?). In petto je m'exclame: «ça nous fera des vacances».

Le soir, retour à la bibliothèque nordique pour entendre la lecture intégrale des Vraies Fremmes. Etrangement, Benoît semble surpris que je trouve ce texte déprimant. J'ai utilisé un mot en-deça de ma pensée: ces pièces suscitent exaspération et désespoir.

Plutôt que l'égalité, ce que réclame l'héroïne, c'est la réciprocité. Il ne s'agit pas d'obtenir l'égalité dans la visée des avantages, mais également dans la charge des responsabilités. Il s'agit de ne plus être infantilisée, d'être considérée comme un être humain à part entière. «Pourquoi considères-tu qu'il est normal que tu nourisses ta mère et tes sœurs et que tu ne comprends pas que je veuille en faire autant avec les miens? Parce que tu es un homme et que je suis une femme n'est pas une réponse valable.»

Réciprocité: je te respecterai dans la mesure où tu me respecteras, et mon mépris sera sans mesure avec le tien.

Les vraies femmes

Moment de stupeur et d'embarras quand je rends les quatre Taniguchi et L'Arabe du futur, t.3, empruntés la semaine dernière.
— Et il faut combien de temps pour lire cela? me demande un homme à mes côtés devant le bureau de la bibliothécaire.
J'évalue, je tends la main vers les volumes: «Ces deux-là en une soirée, ces deux-là, chacun une soirée (cela correspond aux dates d'emprunt), celui-là une soirée».
L'homme fait une mimique que je ne comprends pas, la bibliothécaire qui le voit de face commente : «Y'a du niveau», je me demande si elle se moque de moi puis je me rends compte que l'homme est impressionné, ce qui m'embarrasse (si j'avais soupçonné cela, j'aurais dit autre chose) et je murmure: «c'est des BD, quand même…»
(Si je raconte cela, c'est pour illustrer ma difficulté à trouver mes repères entre les personnes que je fréquente qui trouvent déshonorant d'ouvrir une BD et celles que je croise que cela impressionne… La plupart du temps je cache ce que je lis, mais là, je ne m'y attendais pas, j'ai été prise de court.)

Je pense que j'ai dissipé le cours d'allemand (mais le prof, de retour d'une rencontre au centre orthodoxe St Serge où il avait bu de la vodka pour l'entrée en Carême (ce que je n'ai d'ailleurs pas compris: ils ont Noël plus tard que nous et le Carême plus tôt?), était déjà bien guilleret) en apprenant à la classe l'existence de Bescherelle ta mère (sur le fond, ça me paraît important qu'un philosophe et des élèves qui se destinent à devenir pasteurs aient connaissance de cela (au départ, nous parlions du Bescherelle à une élève allemande qui vient à cet atelier pour perfectionner son français)).

A 19 heures était donnée à la librairie Palimpseste une lecture d'extraits de Sauvé et des Vraies femmes. J'avais déjà entendu (en entier) la première pièce, il me restait à découvrir la seconde, horripilante comme de juste. (Et je songe à ce billet qui m'a profondément marquée : tout cela est si proche, proche à nous toucher).

Evidemment, il était machiavélique d'organiser une lecture dans une librairie. Je n'y entre plus pour ne plus acheter. Mais bast, après tout, maintenant nous avons des étagères. Je vais donc faire la liste des livres que je portais en rentrant, exercice auquel je ne me livre plus, par embarras d'être dans l'ostentation:
- Riad Sattouf, L'Arabe du futur, tome 1 et 2 empruntés à la bibliothèque du CE le midi;
- JRR Tolkien, Beowulf, que je n'en finis pas de lire, cantonné qu'il est aux heures de transport que je passe dans mon smartphone;
- le Théâtre complet d'Anne Charlotte Leffler traduit par Corinne François-Denève, qui était la raison pour laquelle j'étais ici (je songe à offrir ce livre au responsable de l'atelier théâtre de l'école alsacienne, et aussi à la jeune fille qui a monté Les mains sales l'année dernière);
- livre vu et acheté sans préméditation : A la recherche de La recherche, notes de Joseph Czapski sur Proust au camp de Griazowietz (1940-1944), sous la direction de Sabine Mainberger et Neil Stewart. Je le vois, je pense à Dominique, je le feuillette, des textes en allemand que j'ai l'impression de comprendre un peu et des photos de mind-mapping, je l'achète;
- livre vu et acheté sans préméditation : Le traité des équitations, parce qu'il cite le nom de La Guérinière dans son introduction et parce qu'il est écrit par un roi. Je le destine à A.
- livre recherché : je prends l'Arno Schmidt en rayon que je n'ai pas : Le cœur de pierre, parce que le but est d'être capable de le lire en allemand un jour.
- livre recherché : j'ai tenté de me souvenir du titre de Delbo cité par Guillaume, et dans le doute, j'ai pris les trois aux éditions de Minuit présentés sur table: Aucun de nous ne reviendra, Une connaissance inutile, Mesure de nos jours. (finalement c'était les trois, trois tomes d'Auschwitz et après. Comment expliquer la place de "la destruction des juifs" dans ma vie? Il est au cœur de l'interrogation religieuse, les Psaumes comme un gigantesque mensonge, la plus fantastique des blagues, une souffrance permanente pour qui ne peut cesser de croire sans comprendre le sens de cette trahison de Dieu— si on croit).

Sauvé

J'ai décidé de sécher mon cours pour aller assister à une lecture de Sauvé d'Alfhild Agrell.
(Il s'est produit ici une de ces coïncidences qui prouvent soit que le monde est petit1, soit que nous circulons toujours dans les mêmes cercles, soit les deux: je connais la traductrice par Guillaume sur FB et le directeur des acteurs directement via une histoire de bananes (également sur FB, mais bien antérieurement à la traductrice, à une époque où il était beaucoup plus facile d'entrer en relation avec des inconnus (aujourd'hui nous sommes plus méfiants). Il s'était alors avéré qu'il avait fréquenté le lycée où j'avais fait mon hypokhâgne: le monde n'est pas petit, il est minuscule)).

Les deux ont travaillé ensemble sur cette lecture — j'ai donc deux raisons d'être là, qui s'ajoutent à la curiosité de découvrir un lieu et la pièce elle-même.

Un peu assommée par mon week-end, je dors sur ma chaise en attendant le début de la lecture (pour une fois que je ne suis pas en retard!). La salle se remplit très silencieusement, sans me réveiller, et je serai toute étonnée de la découvrir pleine à mon réveil. (C'est la salle de la bibliothèque nordique — dont j'ignorais l'existence jusqu'à ce soir — attenante au lycée Sainte Barbe).

La lecture est animée, vivante; les acteurs par leur seule lecture la font vivre devant nous. La pièce est étonnante, à la fois engagée et ambiguë, les motivations des deux personnages les plus "sympathiques" (l'héroïne et son oncle) pas totalement pures ou compréhensibles, le mari peut-être davantage mal élevé, gâté (comme une pomme), que méchant.

Buffet offert par la boutique suédoise Affären (rue Léon Jost) après la lecture. (Le vin chaud est délicieux et je décide illico d'en offrir quelques bouteilles à Noël). J'erre devant les rayonnages, frustrants car peu d'ouvrages sont en français ou en anglais. L'accès à cette bibliothèque est-il ouvert à tous? Question rhétorique, elle est trop éloignée de mes trajets avec des horaires trop restreints pour qu'elle m'intéresse vraiment (toujours à la recherche pour travailler d'endroits calmes, gratuits et sur le chemin du retour).
Je discute un moment avec le directeur de la bibliothèque Sainte Geneviève, ce qui ma foi m'impressionne beaucoup (comment, il existe? Et on peut le rencontrer? Il ne reste pas enfermé dans son bureau en ayant peur des élèves?) Il a un look davantage artiste qu'archiviste (contribution aux clichés).

Plus tard encore, j'accompagne Benoît, Corinne et les comédiens qui vont prendre un pot (avec toujours le léger embarras de ne pas être sûre de ne pas m'imposer). Discussions à bâtons rompus, legos pour filles et garçons (du regret de ne pas avoir choisi son filleul), méthode pour apprendre les textes, etc.


1 : Marcel Proust, Sodome et Gomorrhe, Clarac p.926/ Tadié p.317-318
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